Article paru dans le magazine « Femmes d’aujourd’hui » (27 octobre 2005)
Interview du Dr Antoine Pelissolo par Anne Deflandre
1. Comment savoir si on souffre d'une dépression ou d'un simple coup de blues ?
2. Faut-il d'office prendre des médicaments ?
3. Existe-t-il de nombreux traitements médicamenteux? Comment savoir lequel peut convenir à son cas personnel?
4. Comment savoir si le traitement est efficace ou s'il vaut mieux en changer?
5. Y a t-il des effets secondaires ?
6. Faut-il en parler à l'entourage ?
7. Doit-on prendre ce traitement toute sa vie ? Comment s'organise le sevrage?
8. Les ados et les femmes enceintes ou allaitantes peuvent-ils prendre un traitement?
9. Peut-on envisager des traitements alternatifs et lesquels (psychothérapie, relaxation, oméga 3...)?
1. Comment savoir si on souffre d'une dépression ou d'un simple coup de blues ?
Dans le doute, il vaut mieux pêcher par excès de prudence que par négligence. Consulter son médecin traitant voire un thérapeute psychologue ou psychiatre peut toujours être bénéfique, même pour être rassuré. Les médecins se basent sur plusieurs types de critères pour définir un état pathologique : l’intensité de la souffrance (pas un simple vague à l’âme), sa durée prolongée, et les conséquences qui en découlent. Si vous êtes très triste, angoissée, désespérée, épuisée depuis plus de 15 jours quasiment en permanence, si vous n’avez plus le goût à rien, si vous avez perdu l’appétit et le sommeil, si vous vous trouvez nulle et laide, si vous n’arrivez plus à vous concentrer sur un travail ou une lecture, si vous pensez qu’il vaudrait mieux en finir, vous êtes très probablement dans une phase dépressive. Mais la plupart des dépressions ne sont pas heureusement aussi graves, et quelques-uns de ces symptômes peuvent « suffire » à définir une dépression pathologique, quand ils sont prolongés et qu’ils retentissent sur la vie quotidienne. En tout cas, il ne faut pas se baser sur les circonstances extérieures pour juger de l’état d’une personne : qu’il existe ou non de « bonnes raisons » d’aller mal, l’essentiel est de savoir si la personne souffre de manière excessive ou non. Le meilleur critère pour confirmer un état dépressif est le constat d’un changement complet, d’une véritable rupture par rapport à son comportement et sa personnalité habituelle.
2. Faut-il d'office prendre des médicaments ?
Il est recommandé aux médecins de ne pas prescrire de médicament antidépresseur après une seule consultation, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, comme je l’ai dit, le diagnostic peut être difficile et il vaut toujours mieux vérifier l’état de la personne à plusieurs jours d’intervalle. Les dépressions légères ne nécessitent pas de traitement médicamenteux, et une prise en charge psychologique peut être beaucoup plus utile. Il est nécessaire d’être en confiance avec le médecin qui prescrit le traitement, et qu’il en ait expliqué l’intérêt et les effets, cela peut prendre plusieurs rendez-vous. Pour autant, il ne faut pas dramatiser une prise éventuelle d’antidépresseur : si elle est encadrée médicalement, si elle s’intègre dans un ensemble d’éléments de soins plus larges, et si on se sent en confiance, les chances de guérir sont maximales. Comme les médecins n’ont pas toujours le temps nécessaire pour répondre à toutes les questions que l’on se pose, j’ai pensé utile d’écrire un guide d’accompagnement et de familiarisation à l’égard de ces médicaments.
3. Existe-t-il de nombreux traitements médicamenteux? Comment savoir lequel peut convenir à son cas personnel?
Il ne faut pas confondre les différentes familles de médicaments psy, qui ont des utilisations et des effets très différents : les antidépresseurs, les anxiolytiques, les somnifères, les neuroleptiques et les thymorégulateurs. Pour ce qui est des antidépresseurs, il en existe une dizaine que les médecins prescrivent actuellement couramment, et ils sont classés en 3 ou 4 types. Le choix du traitement adéquat pour une personne donnée doit vraiment être fait par un médecin car il dépend de nombreux critères individuels et précis. Il ne faut surtout pas décider d’un traitement sous prétexte qu’il a fait du bien à une personne que l’on connaît et qui semblait souffrir du même mal.
4. Comment savoir si le traitement est efficace ou s'il vaut mieux en changer?
Il faut attendre au moins deux ou trois semaines pour juger des effets d’un antidépresseur. Les améliorations apparaissent en général progressivement et dans un ordre variable : d’abord moins d’anxiété, puis le retour des envies, de l’appétit, du sommeil, etc. Le but est de retrouver toutes ses capacités et ses réactions normales, mais ceci est rarement obtenu avant un mois ou deux. Si rien ne change, ou que l’amélioration est insuffisante après un ou deux mois, il est nécessaire de discuter d’un changement de médicament avec le médecin. Il est parfois utile d’essayer 2 ou 3 antidépresseurs pour trouver celui qui convient bien à une personne donnée. Mais l’erreur très souvent commise est d’arrêter le traitement trop tôt de son propre chef, alors que les effets thérapeutiques auraient pu apparaître un peu plus tard.
5. Y a t-il des effets secondaires ?
Les antidépresseurs actuels sont dans l’ensemble plutôt faciles à prendre et bien tolérés. Environ 15% des patients ont des effets secondaires plus ou moins gênants. Certains apparaissent très tôt, dès les premiers jours, et disparaissent en général assez rapidement même en continuant à prendre le médicament. Il s’agit le plus souvent de nausées, de somnolence, d’anxiété ou de difficultés à dormir. D’autres effets secondaires peuvent cependant persister sur des durées plus longues, voire tout au long du traitement : des troubles sexuels (diminution de la libido, retard à l’éjaculation) et une prise de poids notamment. Il faut signaler ces problèmes au médecin car ils peuvent assez souvent être améliorés. Dans tous les cas, les effets secondaires, que l’on ne peut pas prévoir pour une personne donnée, disparaissent lorsque le traitement est arrêté.
6. Faut-il en parler à l'entourage ?
Les problèmes psychologiques et les médicaments qui les traitent font encore l’objet, malheureusement, de certains tabous, ce qui peut entraîner des réactions de rejet de la part de certaines personnes. Vous avez le droit de considérer ces problèmes comme très personnels et ne pas en parler si vous craignez ce genre de réactions, notamment quand vous allez le plus mal. Cependant, quand les choses commencent à s’améliorer, il peut être bon d’expliquer ce qui est arrivé pour ne pas rester sur des malentendus et préserver de bonnes relations ultérieures. La dépression ou l’anxiété ne sont pas des tares ni des fautes, elles peuvent toucher tout un chacun (environ une personne sur cinq) aucune culpabilité n’est justifiée. Lorsqu’une personne qui va très mal ne parvient pas à s’en sortir seule, et quand elle s’expose à des risques graves, il est indispensable d’impliquer l’entourage.
7. Doit-on prendre ce traitement toute sa vie ? Comment s'organise le sevrage?
Lorsqu’il est efficace, un antidépresseur doit être pris au moins six mois pour éviter les rechutes. Lorsque la personne a déjà souffert de plusieurs dépressions longues et répétées, le traitement peut être poursuivi plus longtemps. Il faut cependant savoir que les antidépresseurs, contrairement aux anxiolytiques, n’engendrent pas de dépendance. Il est possible de les arrêter quand on le décide avec le médecin, sans réel problème. Le choix du moment de cet arrêt est important (après plusieurs mois de rémission et en dehors d’une période de stress), et il doit se faire progressivement sur plusieurs semaines. Un arrêt brutal, surtout si la dose était élevée, peut créer des troubles physiques ou psychiques qui disparaissent en quelques jours sans gravité, mais il vaut mieux ne pas procéder ainsi !
8. Les ados et les femmes enceintes ou allaitantes peuvent-ils prendre un traitement?
La question des adolescents et des enfants n’est pas facile. La plus grande prudence est de mise car on manque de recul. En premier choix, les psychothérapies sont donc préférables. Cependant, en cas de trouble sévère et persistant, certaines prescriptions sont possibles mais relèvent des spécialistes et d’une surveillance particulière. Pour ce qui est de la grossesse et de l’allaitement, les recommandations générales sont clairement à l’abstention, surtout par prudence. A certains stades de la grossesse, des prescriptions sont cependant possibles mais doivent être faites de manière prudente et décidée au cas par cas.
9. Peut-on envisager des traitements alternatifs et lesquels (psychothérapie, relaxation, oméga 3...)?
Les dépressions peu sévères doivent être traitées sans médicament dans un premier temps, surtout par une aide psychologique, de la relaxation, un changement d’hygiène de vie, etc. Les produits présentés comme naturels ou non dangereux doivent toujours être considérés avec prudence : ils ont rarement fait la preuve de leur efficacité, sont parfois coûteux, et peuvent avoir des effets secondaires non annoncés. Il vaut toujours mieux prendre l’avis d’un professionnel, et surtout réévaluer les résultats à des échéances assez proches.
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